Les carrières et les carriers de Mery sur Oise en 1910

Publié le par Jean-Claude Drion

« Le mouvement revendicatif ouvrier se manifeste par une certaine force dans la vallée peu avant la guerre, à partir du printemps 1910 par les grèves des carriers de Méry-sur-Oise. Déclenchée, le 19 mars, la grève touche près de 400 ouvriers, sur douze carrières à pierre, appartenant à sept patrons différents, à Méry, Villiers-Adam, Parmain. Le 29 juillet 1910, le « Petit journal » peut annoncer : « Les carriers de Méry-sur-Oise viennent de reprendre le chemin des chantiers », après quatre mois, sans succès… Cette main-d’œuvre, surexploitée, marginalisée, déracinée, n’est guère en état d’imposer ses vues ».

Quelques mots qu’il me fallait approfondir, c’est ce que je vais faire dans cette série d’articles.

C’était il y a 100 ans, Pierre Tesche, journaliste au journal l’Humanité, arrivait à la gare de Méry-sur-Oise. Il était envoyé pour couvrir l’événement qui faisait la une de tous les journaux : la grève des ouvriers carriers de Méry.

Les quelques mots qu’il a écrit sur son arrivée dans le village de Méry sont particulièrement émouvants, car ils sont toujours vrai un siècle après :

« Tout d’abord, je dois avouer, - et beaucoup penseront comme moi – que le seul mot de « carrières » me représentait Méry comme un pays accidenté, peu fréquenté en un mot, une contrée où, à l’exception des exploités et de leurs exploiteurs, la vie était nulle ou à peu près. Je dois dire que ma surprise a été extrême lorsqu’à ma descente du train, je me suis trouvé dans une petite cité plus que riante, agréable au possible.
Située entre la ligne de chemin de fer Paris-Valmondois et la rivière de l’Oise, émaillée de villas autour desquelles des petits bois ajoutent l’attrait de leur verdure printanière, on ne se douterait pas que là se déroule un conflit qui mérite par les motifs qui l’ont créé, d’appeler toute l’attention ».

Mais avant de parler de ce conflit ouvrier, laissez-moi vous présenter les carrières de Méry et le travail des hommes qui les ont exploitées.

Entrée de la carrière du Four à Chaux à Méry-sur-Oise
Un peu de géologie pour commencer

Le gypse affleure à mi-hauteur du grand plateau portant la forêt de Montmorency et de l’Isle-Adam. Il s’agit du plus important lit de gypse d’Europe. Les couches gypseuses sont très-peu élevées au-dessus de la plaine, depuis Montmorency jusqu’à Méry, près de l’Oise. Les entrées des carrières ont donc pu être creusées à flanc de colline.

La colline proprement dite est composée de marne verte (argile), recouverte d’une masse très épaisse de sable ferrugineux sans coquilles. Entre le sable et la marne se trouvent des coquilles d’huîtres.

On y reconnaît plus profondément, sur une épaisseur totale de 45 mètres environ, trois masses gypseuses :

  • la masse supérieure, appelée par les carriers Haute Masse, a environ 4 à 5 mètres d’épaisseur. A Saint-Prix, elle en a jusqu’à 16 mètres. On y trouve des os de mammifères, oiseaux, reptiles et poissons d’eau douce ou marins fossilisés. Cette présence de couches successives de craie formée par les squelettes d’animaux marins et lacustres, montre que le sol de la cuvette du bassin parisien fut envahi à plusieurs reprises par les eaux marines. Le bassin était alors un immense lagon d’eau salée ou d’eau douce selon les glaciations et le niveau de la mer, s’étendant du centre de la France au milieu de l’Angleterre,
  • La masse intermédiaire, séparée de la première par une couche de marne, a environ 8,50 mètres d’épaisseur. Elle présente la particularité de ne posséder aucun fossile, soit marin, soit d’eau douce, soit terrestre,
  • La troisième masse, appelée par les carriers la Basse Masse est aussi importante que la précédente. Elle a environ 6,50 mètres d’épaisseur et présente même des couches de gypse plus épaisses. Elle se caractérise par un grand nombre de coquilles de moules marines, des carapaces de crabe, des dents de squales et de plantes fossilisées que l’on peut rapprocher aux fucus (goémons de nos plages estivales).

En dessous de cette masse crayeuse, se trouvent des roches primitives formées lors de la création des premières couches terrestres.

On peut donc imaginer sans trop se tromper en remontant le temps, que tout le bassin parisien fut à l’origine une mer peu profonde et chaude.
Puis, que toute vie disparue sur terre, aussi bien animale que végétale.
Ensuite, que la vie réapparut sur terre et que la mer fut remplacée, suivant les variations du climat, alternativement par un lac d’eau salée ou un lac d’eau douce, provenant certainement de la fonte des glaciers qui recouvraient tout le nord de l’Europe. Enfin, le lac d’eau douce s’écoula dans la mer en creusant les vallées de la Seine et de l’Oise, laissant place au paysage que nous connaissons de nos jours.

Les carrières à Mery sur Oise

Les crayères à ciel ouvert se développèrent dans notre région dès la période gallo-romaine.

Les sarcophages mérovingiens en plâtre coulé, trouvés sous le mess de la base 921 de Taverny-Bessancourt ou dans la nécropole de Mériel à l’extrémité de la sente des gardes, en témoignent. La pierre calcaire était exploitée le long des coteaux bordant les rivières, où il était accessible sans creuser.

À partir du 12e siècle, les fortifications des villes et les bâtiments sont construits en dur. La pierre remplace le bois. Or les blocs de craie extraits à l’air libre sont friables, alors que ceux extraits en creusant sont humides et en séchant deviennent relativement imperméables à l’eau de pluie. Cela oblige les carriers à poursuivre l’exploitation du calcaire grossier en souterrain. Ces nouvelles galeries sont creusées en parallèle, dans le prolongement des
fronts de tailles des anciennes carrières à ciel ouvert. Leurs entrées donnent naissance aux bouches de cavages que l’on peut encore apercevoir de nos jours dans le coteau bordant l’Oise.

Carrière du Rû (20 ha) également appelée Fonsdé ou Keppler.
Cette carrière a été exploitée avec la méthode des piliers
tournés, renforcée par des hagues et bourrages. Les galeries
et les hagues en pierre de taille tirées au cordeau sont typiques
des carrières exploitées par les Quesnel. Crédit photo : Yannick Grain.
Carrière Hennocque (35 ha), exploitée par la méthode des
piliers tournés. Elle fut exploitée pendant trois générations
par la famille Aubin-Hennocque et communique avec la
carrière de la Louisette qui était exploitée par l’entreprise
Bélier. Elle devait servir pendant la dernière guerre d’atelier
de montage pour les fusées V2 allemandes. Crédit photo : Pierre-Henry Muller.

Avant de s’enfoncer un peu plus sous terre, les carriers préférèrent creuser des passages entre les galeries précédemment creusées, laissant entre chaque passage des piliers de craie non exploitée de façon à éviter les éboulements du toit de la carrière. Ils pouvaient tourner autour de ces piliers, et cette méthode d’exploitation prit le nom de « piliers tournés ».

Les carriers en voulant exploiter au maximum le banc calcaire espacèrent les distances entre les piliers tournés, aboutissaient à des effondrements meurtriers.

Pour pouvoir exploiter tout le calcaire, ils se mirent à étayer le « ciel » des carrières avec des piliers maçonnés espacés tous les 2 mètres environ, en empilant à bras d’homme les blocs de pierre les moins intéressants. Pour cette raison, ils sont appelés « piliers à bras ». Puis au XVIe siècle, pour renforcer le ciel de leurs carrières, ils utilisèrent les déchets de taille pour remblayer au fur et à mesure les galeries (le bourrage). Les remblais étaient maintenus
par des murets (les hagues). Cette méthode fut appelée « hagues et bourrages ».

À la fin du19e siècle, les crayères de Méry s’industrialisèrent en s’équipant d’outils mécaniques d’extraction telles les haveuses (tronçonneuses à chaîne) et les soucheveuses (haveuse horizontale). Le transport des blocs se fit sur des rails et des wagonnets. Les carriers Bélier et Quesnel (carrière du Rû) se feront même construire une ligne de chemin de fer jusqu’à Mériel, pour le transport des blocs de pierre par péniche. Les propriétaires des carrières qui firent la réputation de Méry, connu à cette époque pour la qualité de ses craies
(banc-franc, banc-royal et vergelé) étaient messieurs Bélier, Challant, Quesnel, Lebailly, Letellier, etc…

Monsieur Bélier, associé à Challant et Quesnel qui possédaient les carrières de Ravières en Lorraine, était propriétaire sur le territoire de la commune de Méry de quatre carrières : la carrière Saint-Paul (ouverte en 1877) et la carrière de la Bonneville (achetée en juillet 1878), qui produisaient par an à elles-deux, plus de 400 m3 de banc-franc, 8.000 m3 de banc-royal et 1.600 m3 de vergelé. Bélier possédait également la carrière des Roches, qui n’était plus exploitée. Et il avait repris en 1880 la carrière du Rû de la Garenne, dont l’exploitation était
arrêtée depuis 1872 et qui produisait annuellement 100 m3 de banc-franc, 2.000 m3 de bancroyal et 400 m3 de vergelé. Les déchets d’extraction, qui ne sont pas comptabilisés dans ces chiffres, représentaient entre 50 et 40% de la production. Ils étaient commercialisés pour environ 20% sous forme de moellons de construction et de tout-venant pour remblayer les routes de la région. Son bénéfice annuel était estimé en 1880 à 211.000 francs. Je pense
qu’il est inutile de vous préciser que ces individus étaient les notables les plus aisés du pays !

Au début du XXe siècle, l’extraction de la craie et du gypse était la principale industrie de la région. Elle amènera l’installation à Mériel de deux usines de transformation :

  • En 1903, la Société des plâtrières Albin Labrousse et Albert Roux installera à Mériel une briqueterie-plâtrerie au bord de l’Oise, à l’emplacement de l’usine actuelle de plâtre Prestia Lafarge,
  • En 1926, la Société des plâtres fins et albâtre construisit au Bel-Air, toujours sur le territoire de la commune de Mériel une nouvelle usine à plâtre, à l’emplacement actuel des ateliers municipaux.

La première secousse annonçant la fin des carrières de pierre de Méry fut la première guerre mondiale, qui envoya les ouvriers carriers se battre au front. Peu nombreux furent ceux qui revinrent vivant de ce carnage inhumain.
La seconde secousse fut apportée par la crise économique de 1929. La production de plâtre passa de 2 millions de tonnes à 600.000 tonnes/an et il faudra attendre 1963, pour voir redémarrer la production et dépasser ces 2 millions de tonnes/an. Dès lors, les carrières de Méry commencèrent à fermer les unes après les autres.

L’hallali fut porté à l’industrie de la pierre de taille après la seconde guerre mondiale par la suprématie du béton dans la construction, dont les matières premières (sable, gravier, ciment) étaient disponibles partout.

Les « Ritals », Spinelli, Oberti, Zambléra, etc… dont je vous parlerai dans l’article suivant reprirent alors les carrières abandonnées pour les transformer en champignonnières. Dans les années 1980, la concurrence des champignonnières d’Anjou et celles des pays de l’Est eut raison de la majorité des champignonnières de Méry sur Oise, où il ne reste plus qu’une
seule exploitation en 2009, celle de Bruno Zambléra.

À Méry, la surface occupée par les carrières souterraines représente 286 ha sur les 1000 ha que couvre la commune. L’abandon des carrières pose de sérieux problèmes de sécurité, car toutes les galeries n’ayant pas été comblées, certaines ont tendance à s’effondrer.

L’extraction de la pierre à bâtir

Dans la carrière, la pierre est remplie d’eau. Lorsqu’elle est exposée à l’air extérieur, l’eau s’évapore, entraînant du carbonate de chaux et autres sels minéraux, de l’intérieur de la masse vers la surface du bloc. Les sels se déposent à la surface et forment une pellicule qui protège la pierre qui ne peut plus réabsorber d’eau, et par conséquent geler. Cette croûte de calcite est le « calcin ». C’est essentiellement pour cette raison que l’on extrait à Méry le
calcaire en souterrain.

Pour extraire un bloc de pierre (on dit un « blot », les ouvriers étaient regroupés par équipes de 3 personnes comprenant un « soucheveur » et 2 aides, sous la conduite d’un contremaître appelé le « conduiteur », qui dirigeait l’ensemble des travaux. Le « soucheveur » balançait la « lance » (barre de fer horizontale de 2 à 3 mètres de longueur, suspendue en son milieu par une chaîne à un trépied) pour forer des trous, puis il creusait deux tranchées verticales sur une profondeur d’un mètre environ, à l’aide de son « pic » qui était une sorte de marteau à simple ou double pointe. Les entailles étaient ensuite approfondies à « l’escoude » qui était un « pic » sur un long manche d’environ 2 mètres. Ensuite à l’aide d’une « aiguille » (barre de fer plus légère que la lance et tenue à deux mains), il effectuait à bout de bras la tranche en plafond. Enfin à nouveau avec l’aiguille, couché ou accroupi en se protégeant les genoux avec de la paille, il creusait une large tranche basse appelée le « four ».

Les déchets étaient retirés avec une raclette nommée « tire-terre ». Exécuter ce travail sur un « blot » de trois à cinq tonnes demandait cinq à six jours de travail de 12 à 13 heures.
Une fois les tranchées exécutées, le carrier encastrait des coins de bois sec dans les tranchées verticales. L’atmosphère de la carrière étant saturée en eau à 80%, les pièces de bois absorbaient l’humidité ambiante et gonflaient. Elles poussaient le « blot » sur les côtés, et celui-ci se cassait dans sa partie arrière, au fond des tranchées. Le bloc basculait en avant, sur un lit de chandelles en moellons tendres, destinées à amortir sa chute.

Ensuite on appelait les « carisseurs », qui donnaient sa première forme à la pierre détachée. Dès le 19e siècle, ils utilisèrent la scie crocodile, appelée « croco de carrier », pour scier l’arrière du bloc. Cela permettait d’obtenir une face arrière bien dressée, et d’accélérer la production.

Vestiges de « croco de carriers »
Crédit photo : Yannick Grain

Arrivaient par la suite les « trancheurs », qui coupaient la pierre en morceaux.

Enfin les « guimbardiers », du nom de la charrette, tirée par le cheval, servant au transport des blocs vers l’extérieur.

L’attention des carriers, quelque soit la fonction qu’ils exerçaient dans la carrière, devaient rester constamment soutenue, en raison des fréquents éboulements qui ne manquaient pas de se produire.

Le « blot » était ensuite dégagé à l’aide de « roules » qui étaient des rouleaux de bois de 1 à 2 mètres de longueur et de 20 centimètres de diamètres ou des boules de fer appelées « triolons », puis tiré à l’aide de cordages et d’un
treuil appelé « crapaud ». Ensuite, il était placé sur un chariot, le « fardier », pour être enlevé.

Déplacement d’un bloc de pierre à l’aide de roules et d’un treuil appelé « crapaud »

Un ouvrier carrier sortait un demi mètre-cube de pierre par jour. Il était payé selon sa production, à la surface de tranche effectuée. Dans les carrières modernes, les carriers découpent la pierre de construction avec des
haveuses, qui sont des grosses tronçonneuses à pierre. Un carrier extrait de nos jours environ quatre mètres-cube par Vestiges de « croco de carriers ».
jour.

Les ouvriers carriers

Autrefois, l’éclairage était assuré par des bougies enfoncées dans des petites pierres plates trouées en guise de support. A la fin du 19e siècle, apparue la lampe acétylène qui donnait plus de lumière. De nos jours, l’éclairage est électrique.

Les dépôts de pierre
Chargement d’un train en pierres de taille à la gare de Méry sur Oise

Une fois les pierres extraites de la carrière, elles étaient entreposées dans des zones de stockage d’où elles étaient envoyées dans toute la France, mais surtout vers Paris. En effet, la grande restructuration de Paris commencée par le Baron Haussmann occasionnait une grande consommation de pierre de taille.

Pour ces transports, les entreprises disposaient à l’époque des voies ferrées, fluviales, ou terrestres.

La carrière du Rû avait sa propre ligne de chemin de fer, qui arrivait à l’Oise en longeant l’actuelle rue du bac à Mériel, près de l’usine actuelle de Prestia-Lafarge. Sur le port, une grue assurait le transbordement des pierres de taille dans les péniches. Le stockage de toutes les pierres extraites dans l’ensemble des carrières Bélier et Quesnel - car ils ne possédaient pas que leurs carrières de Méry – était regroupé à l’entrée de Paris, au port de La Villette.

Sur cette carte postale de droite à gauche : les wagons du chemin de fer du Rû chargés de pierres, la briquetterie-plâtrerie
Labrousse et Roux, la grue servant au chargement des péniches, les péniches qui transportaient les pierres. Le transport du
gypse par le petit train industriel cessera en 1932.

L’autre gros exploitant carrier était la famille Hennocque. Les cavages de leurs carrières étant près de la voie de chemin de fer allant de Valmondois à Ermont, ils utilisèrent ce moyen de transport et avaient un dépôt de pierres de taille à la gare de La Chapelle, à l’entrée de Paris.

Dépôt de pierres de la carrière du Rû à Méry-sur-Oise. La première grue à gauche et la grue électrique à droite

Chaque gros exploitant, très souvent présent à l’échelle nationale possédait son propre dépôt. On y stockait des pierres standard et des blocs taillés aux cotes précises dans la carrière, pour des commandes spécifiques.

 Pour lire la suite : Les conditions de travail des carriers de Méry-sur-Oise.

 Pour compléter cet article, voir le très beau site de Yannick Grain.

Source : Jean-Pierre Auger

Publié dans La Généalogie

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