Les sabotiers auvergnats dans le Val de Saône (Ain) de la fin du XIXe siècle au début XXe siècle

Publié le par Jean-Claude Drion

D’après l’étude de Jean Morange, les sabotiers du Livradois et du Forez partaient, à pied, traversaient en groupe le Beaujolais en direction du Jura. Sur des routes identiques, ils partaient à l’assaut des futaies de noyers et de bouleaux. D’autres venaient les rejoindre du Cantal et de la Corrèze via le Puy de Dôme et l’Allier. Leur chemin migratoire passait par Roanne, Tarare, Villefranche-sur-Saône ou Mâcon puis Bourg-en-Bresse.

Si les sabotiers de la vallée de la Saône dans l’Ain étaient pour beaucoup originaires de la région ou de la Bresse, une partie était originaire du Puy de Dôme. Certains n’étaient que de passage pour le compagnonnage ou recrutés après les travaux d’été par des chefs sabotiers. D’autres s’y sont définitivement installés. Les communes principales où on les retrouve sont St-Laurent-sur-Saône (Anciennement St-Laurent-les-Mâcon), Thoissey-Montmerle sur Saône et St-Trivier-sur-Moignans.

Après quelques recherches, on peut s’apercevoir que ces sabotiers d’Auvergne viennent tous de la même région. Ils sont tous nés dans un rayon de 20km autour de Le Brugeron dans le Puy de Dôme. On note également qu’ils portent tous le même patronyme, preuve que le métier se transmet de père en fils et que les mariages se font dans la corporation. Les communes d’origines de ces sabotiers venus d’ailleurs sont :

 Le Brugeron (1149 habitants en 1882) Puy-de-Dôme.
 Job (2578 habitants en 1882) Puy-de-Dôme.
 St Pierre la Bourlhonne (237 hbts en 1962) Puy-de-Dôme.
 Marat (2454 habitants en 1882) Puy-de-Dôme.
 Olmet (1143 habitants en 1882) Puy-de-Dôme.
 La Renaudie (902 habitants en 1882) Puy-de-Dôme.

Il y a également le petit village de La Chamba, à quelques kilomètres des précédents mais situé dans la Loire.

On distingue trois grandes familles de sabotiers exerçant leur profession dans la vallée de la Saône (Ain) entre St-Laurent-sur-Saône et Montmerle-sur-Saône (communes distantes d’environ 35km) : les familles MARRET, ROURE et BEAL.

Originaires de LE BRUGERON

 Marret Jean Baptiste, né en 1855, (Gouttebel M., sa femme) exerçant en 1896 à St-Laurent-sur-Saône (Ain).
 Marret Alexis, né en 1878, (Roure J, sa femme) fils du précédent exerçant en 1896 à St-Laurent-sur-Saône (Ain).
 Marret Jean Louis, né avant 1876, exerçant en 1896 à St-Trivier-sur-Moignans (Ain). Parmi ses employés, Jean Béal.
 Marret Jean Baptiste, né en 1855, (Béréziat sa femme) exerçant en 1896 à Thoissey (Ain).
 Roure Jean Baptiste, né en 1861, exerçant en 1896 à St Laurent sur Saône (Ain).
 Roure Jean Marie fils du précédent, né en 1889, exerçant en 1906 à St Laurent sur Saône (Ain).
 Roure B., né en 1848, pas sabotier mais charretier chez Marret Alexis (ci-dessus) en 1906. Ces deux fils Roure Charles et Roure Paul nés à Condessiat (Ain) en 1880 et 1885 étaient sabotiers Chez Roure Alexis.
 Roure Pierre, né en 1862, exerçant en 1896 à Montmerle-sur-Saône (Ain). Roure Célestin son fils également sabotier à Montmerle-sur-Saône en 1906.
 Igonin Jean exerçant à Montmerle- sur-Saône (Ain) en 1901.
 Chardon Adolphe, né en 1904, exerçant à Montmerle-sur-Saône en 1921.

Quant à Marret Antoine, fils de Laurent Marret, né en 1848, tous deux sabotiers, ils exercent dans leur village de naissance, Le Brugeron. Il en est de même pour Jacques Marret fils de Jacques Marret, sabotier né avant 1800, marié avec Catherine Béal.

Originaire de St-PIERRE-LA-BOURLHONNE

 Marret Antoine, né en 1858, exerçant à (Ain) en 1906.
 Marret Jean Marie exerçant à St-Trivier-sur-Moignans (Ain).
 Filleux Jean Marie exerçant à Thoissey (Ain) en 1896 a pour épouse Marret Joséphine.
 Rigaud Benoit Benoit, né en 1905, exerçant à Montmerle-sur-Saône en 1926.
 Parraud Jean Baptiste, né en 1888, exerçant à Montmerle-sur-Saône (Ain) en 1926 a pour épouse Béal Marthe.

Béal Antoine marié à Pironne Roure, exerce son métier à St-Pierre-la-Bourlhonne avant 1800.

Originaire de JOB

 Guillot François, né en 1842, exerçant à Montmerle-sur-Saône (Ain) en 1896. Fils de Guillot Jean, sabotier à Job, il se marie en 1872, à Montmerle-sur-Saône (Ain) avec Essartier Jeanne.
 Goubeyre Barthélémy, né en 1864, exerçant à Montmerle-sur-Saône en 1921.

Jean Baptiste Béal, fils de sabotier, né à Job, a pour beau-père Jean Marret, décédé à St Georges de Reneins (Rhône) soit à 3km de Montmerle-sur-Saône (Ain).

Avant 1800, un« Antoine » Béal exerce à Job.

Originaire de MARAT

 Deschamps Louis, né en 1825, exerçant à Montmerle-sur-Saône (Ain) en 1851 se marie la même année avec Mandy Louise.
 Deschamps Antoine frère du précédent exerçant également à Montmerle-sur-Saône (Ain) en1851.
 Mégassol Jean Marie.
 Mégassol Antoine.
 Mégassol Pierre, frère des deux précédents, exerçants à Thoissey (Ain) en 1906.
 Mégassol Marius, né en 1873, exerçant à Thoissey (Ain).
 Gouttebroze Jean Joseph, né en 1877, exerçant à chez Meunier Claudius à Montmerle-sur-Saône (Ain) en1906.
 Defravas Marius exerçant à St-Trivier-sur-Moignans (Ain) en 1906.
 Taillandier Jean Baptiste exerçant chez Marret J.M. à St-Trivier-sur-Moignans (Ain) en 1896.

Originaire d’OLMET

 Terroles Claude exerçant chez Marret J.B. à St-Laurent-sur-Saône (Ain) en 1896.
 Fournet Fayard exerçant à Thoissey (Ain) en 1906.
 Marret Claude exerce à Olmet avant 1830.
 Marret Etienne exerce à Olmet avant 1750.

Originaire de JASSAGNAT

 Fafournoux, né en 1875, exerçant à Montmerle sur Saône (Ain) en 1906.

Originaire de LA RENAUDIE

 Gouttefangeas Jean exerçant à St-Laurent-sur-Saône (Ain) en 1906.

Originaire de LA CHAMBA (Loire)

 Fafournoux Antoine, né en 1858, exerçant à Montmerle-sur-Saône (Ain) en 1906 chez Roure J.P.
 Fafournoux Paul, né en 1868, exerçant à Montmerle-sur-Saône (Ain) en 1906 chez Roure J.P.
 Grangemare Benoit exerçant à St-Trivier-sur-Moignans (Ain) en 1906.

En dehors de cette zone géographique très ciblée on peut noter également :

Originaire de FEURS

 Giraudier Jean Pierre, né en 1878, exerçant à Montmerle-sur-Saône (Ain) en 1906 chez Meunier Claudius.

Originaire de CLERMONT-FERRAND

 Morange Jean Pierre, né en 1819, exerçant à Montmerle-sur-Saône (Ain) se marie dans cette commune le 3 février 1847 avec Rochard Claudine.

Ils ne sont sans doute pas tous répertoriés. Heureusement les traces de leur séjour sont inscrites dans les listes de recensements des communes.

Si l’étude était poussée un peu plus loin, elle apporterait certainement des résultats qui confirmeraient que les sabotiers auvergnats étaient unis dans une grande famille.

Le fait que certains sabotiers migrants soient recrutés par des chefs sabotiers auvergnats installés dans certaines communes, où dans les forêts, le long de la Saône, n’est pas une généralité. Il y a sans doute un rapport avec les haltes du compagnonnage.

Étonnamment, les communes importantes longeant la Saône telle que Feillens, Replonges, Pont-de-Veyle, St-Didier-sur-Chalaronne, Jassans, Trévoux (soit 65 km du Nord au Sud) n’ont pas de sabotiers auvergnats. Ils sont tous de l’Ain.

L’étude n’a pas été approfondie le long de la Saône, côté Rhône. Mais on peut noter la présence de 4 sabotiers à Belleville-sur-Saône en 1896 (commune en face de Montmerle, la Saône constituant la limite des deux départements).

L’un d’entre eux qui emploie 4 ouvriers se nomme Marret Denis Joseph, né en 1848.

Un autre qui emploie deux ouvriers se nomme Béal Jean Marie né en 1844.

Encore une fois les patronymes sont les mêmes.

Le port des sabots à Montmerle-sur-Saône (Ain) en 1896

Les sabotiers sont :

 Meunier Jean Claude, né à Montmerle-sur-Saône, installé rue Saget.
 Roure Jean Pierre, né à Le Brugeron (Puy de Dôme), installé sur la Grand-Place.
 Chuzeville Etienne, né à Montmerle-sur-Saône, installé rue d’Amareins.
 Chuzeville Antoine son fils.
 Bidard Michel, né à Chatillon-sur-Chalaronne, installé rue des Minimes.
 Guillot François, fils de sabotier, né à Job (Puy de Dôme) installé rue d’Amareins.

Rue d’un sabotier à Montmerle
Enseigne de sabotier à Montmerle-sur-Saône.
Le nez du sabot se terminait en spirale.
Il faisait l’admiration des enfants qui l’avaient surnommé « Le sabot du géant ».

La population de Montmerle-sur-Saône, selon le recensement, est de 1668 personnes. Parmi ces gens, 900 actifs sont susceptibles de porter des sabots.

Ne sont pas comptés les personnes âgées classées sans profession ni les enfants qui ne sont pas issus du travail de la terre.

Donc on peut aisément considérer que le port du sabot est usité par 1000 Montmerlois.

Si l’on considère que les gens qui travaillent la terre, (hommes, femmes, enfants) usent ou cassent 3 paires de sabots par an (couramment 4 à 5 paires, voir une paire par mois pour certains), on arrive à 500 personnes.

500 personnes x 3 paires + 500 personnes x 1 paire = 2000 paires

Mais n’oublions pas non plus les communes environnantes telles que Amareins, Francheleins, Lurcy, Messimy, Guéreins, Monceaux, Cesseins et Genouilleux qui n’ont pas de sabotiers. Les habitants de ces communes, rurales à 95%, portent énormément de sabots.

Le nombre de paires annuel est supérieur à 6400. En considérant que les femmes et les enfants n’usent ou ne cassent pas 3 paires par an, on arrondira à 600 paires. Ajoutées aux 2000 paires portées par les Montmerlois, on arrive à 8000 paires.

Il y a six sabotiers à Montmerle en 1896. Tous les sabots se font à la main du fait que les machines ne sont apparues dans les grandes entreprises, qu’en 1904. Un sabotier fait en moyenne cinq paires de sabots par jour. Ce qui fait un total de 30 paires par jour, 700 paires par mois, et 8400 paires par an.

De ces 8400 paires de sabots, on ôte les 8000 paires vendues annuellement à la population, il reste un stock de 400 paires, ce qui n’est pas énorme. N’ont pas été déduits les sabots noirs, vernis ou décorés portés par certains le dimanche ou lors des fêtes. Il faut aussi tenir compte des gens qui viennent de loin, à la foire aux chevaux de Montmerle-sur-Saône qui dure plusieurs jours. A cette période, les ventes, importantes, font diminuer les stocks un peu plus.

Matière première et outillage

Et le bois, d’où venait-il ? Certainement des forêts environnantes. On peut supposer que les futaies sont importantes sur la région des Dombes, aux alentours de Chatillon-sur-Chalaronne et St-Trivier-sur-Moignans. En 1896, il y a un marchand de bois à St-Trivier-sur-Moignans, un à Thoissey, deux à St-Laurent-sur-Saône, et un à Montmerle-sur-Saône en 1906. Les scieurs de long (2 à Montmerle-sur-Saône en 1896) étaient chargés de l’abattage des arbres et du débitage des tronçons. Les marchands ou les voituriers (5 à Montmerle en 1896) étaient sans doute chargés de l’acheminement des matières premières.

Pour cette production, les sabotiers avaient leurs propres outils. Certains les amenaient d’Auvergne. Pour le voyage, le paroir, outil imposant et indispensable pour réaliser la forme du sabot se portait sur l’épaule.
Le tranchant de 50 cm était recouvert d’un protège lame en bois parfois finement sculpté.

Les outils étaient généralement forgés par les taillandiers. Il n’y a plus de taillandier à Montmerle-sur-Saône en 1896. Le dernier recensé, forgeait et fabriquait la majeure partie des outils qu’il mettait en vente. Sa renommée régionale lui permettait de graver son nom : THOMAS, sur chaque outil. Il décédera en 1890, à 65 ans. On peut supposer qu’il a forgé des outils pour les sabotiers de Montmerle-sur-Saône qui étaient déjà présents en 1847.

A St-Laurent-sur-Saône, Jean Baptiste Marret était à la tête d’une fabrique de sabots (trois employés dont deux Auvergnats) près du pont. Il était marchand de bois, sabotier, vendait des brides et des coussins mais aussi des outils pour sabotier.

De 1847 à 1931, 23 sabotiers ont exercé leur savoir faire à Montmerle-sur-Saône. Le dernier « Auvergnat » recencé, Parraud Jean Baptiste, né en 1888, à St-Pierre-la-Bourlhonne faisait encore des sabots à Montmerle-sur-Saône en 1931.

Avec la mécanisation, les sabotiers auvergnats ont disparu du Val de Saône.
Avec l’ère industrielle, les sabotiers de la France ont disparu.

Le dernier sabotier du Val de Saône s’est éteint à Montmerle-sur-Saône en 2008. Il s’appelait Jean Beroud.

Source : Patrice Beroud

Publié dans La Généalogie

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